29 décembre 2003

La Gnose ?

Pour la gnose, Yahweh, Dieu des juifs et de la création, c'est le Dieu du mal. Les juifs sont les adorateurs du mal, puisqu'ils estiment que la création est bonne, que la vie est bonne. L'antisémitisme cultivé dans les universités allemandes au XIXème siècle n'est pas sociologique, il ne reflète pas un ressentiment contre la prétendue richesse des juifs, mais il est métaphysique : la présence du juif dans la société est ressentie comme une impureté, comme une menace contre la Vérité. Cette conviction, transmise par les divers canaux de la formation intellectuelle, s'est combinée chez les nazis avec la croyance en la magie ; ainsi ils ont cru, lorsque le sort des armes leur est devenu défavorable en 1942, que le meurtre des juifs rétablirait en leur faveur une balance symbolique, obscure mais efficace. C'est pourquoi, d'une façon qui autrement serait incompréhensible, ils ont donné à l'extermination des juifs, véritable meurtre rituel, la priorité sur des tâches militaires pourtant urgentes.
La contradiction entre la gnose et la Bible s'articule autour d'une jointure précise. Si, pour la gnose, Dieu est caché, pour la Bible, Dieu est inconnaissable. Celui qui lit cette phrase trop vite croit ces deux expressions synonymes, et il ne peut donc pas percevoir la profondeur de la différence qui en résulte.
Le Dieu de la gnose est caché par la création, qui est mauvaise ; mais l'initié peut le connaître en assimilant la tradition. Ainsi le parcours docile de l'initiation, communication d'un discours sur Dieu, permet d'accéder à la Vérité, tout entière contenue dans ce discours.
Le Dieu de la Bible n'est autre que le Dieu de la création, et s'il a parlé aux prophètes c'est pour nous le révéler. Le spectacle de la création nous dit donc sur Dieu tout ce que nous pouvons en savoir ; mais, si la nature ne ment pas, elle ne nous révèle pas la Vérité de Dieu qui est inépuisable. Il en résulte qu'aucun discours ne peut épuiser la Vérité, dont la recherche est une marche sans fin.
Ainsi l'orientation de la Bible (sinon sa lettre, bien sûr) répond, d'une façon précise, aux exigences de la science expérimentale. Le Talmud, écrit 1000 ans avant que la méthode expérimentale n'émerge en Occident, peut être lu comme un effort d'interprétation des expériences de la vie quotidienne, au ras des faits eux-mêmes, et selon un effort d'abstraction modeste - au rebours de la pensée platonicienne qui prétend procéder au partant des abstractions suprêmes que sont l'idée du Tout, puis celle du Bien, du Beau et du Juste etc. Il n'est pas étonnant que des personnes de culture hébraïque se soient trouvées à l'aise dans la démarche scientifique, qu'elles aient été parmi les chercheurs les plus féconds. Il leur était en effet plus facile qu'à d'autres de se libérer d'une pensée qui tend toujours à se figer sous forme de dogme.
L'influence juive sur la culture chrétienne, toujours combattue, ne s'est jamais cependant effacée. Elle était portée par la Bible elle-même ; elle a été recueillie par certains protestants ; Pascal, le janséniste, fonde sa foi sur le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ainsi, alors même qu'elle produisait constamment les dogmes qui la figeaient, la pensée chrétienne contenait le germe de son renouvèlements. Les souffrances, les crises qu'ont provoqué cet accouchement continu expliquent pour partie la haine envers les juifs, toujours présente, toujours renaissante. Mais finalement, bien sûr, c'est vers les juifs que le christianisme doit se tourner s'il veut se libérer de la prison dogmatique, abstraite, initiatique dans laquelle il s'est enfermé, et mettre un terme à son conflit séculaire avec la science expérimentale : c'est du moins ce que je pense.
By MichelVolle
http://volle.com in mail december 29, 2003

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