25 mars 2008

Juif

Difficile de faire l'impasse sur ce mot qui encombre tant la mémoire collective, consciemment ou non, ne serait-ce que par la haine qu'il suscite chez certains, imprégnés d'une culture superficielle.

Pas simple de le définir, car à la fois nom et adjectif  à connotation péjorative pour certains, valorisante pour d'autres, en l'occurrence les juifs eux-mêmes, qui ont pourtant du mal à se définir puisque beaucoup ne sont pas religieux, parfois anti-religieux, et même pour certains anti-Israéliens, mais ce pays qui n'a que 60 ans est difficile à positionner dans les millénaires de l'Histoire juive. Fondamentalement, c'est cette histoire qui est le socle du Judaïsme. Elle porte en elle une culture puissante, une religion dont se sont inspirées celles qui en sont issues, qui n'ont gardé que certaines branches, et surtout une langue partagée par tout ceux qui se sont efforcés de pénétrer le textes fondateurs dont on retrouve bien des traces dans le Christianisme et l'Islam. Cependant, la culture juive reste plus une transmission orale qu'écrite. Si les textes fondateurs sont si riches pour les commentateurs juifs c'est parce qu'ils sont très abondamment relayés par des milliers de commentaires issus de la tradition orale: Le Talmud. En relais du Talmud, une culture qui passe comme une langue, où la connaissance, l'apprentissage, le questionnement sont érigés en valeurs essentielles. Quelle que soit la culture environnante, ce n'est pas par ambition que les juifs s'en imprègnent. Ils l'aiment, l'enrichissent, la critiquent pour devenir parfois les meilleurs ambassadeurs de cette culture, jusqu'à agacer leur pays d'accueil qui leur refuse cette différence à laquelle ils s'accrochent: Ils restent juifs. Et si c'était ce qui faisait d'eux ce "peuple d'élite" dont parlait De Gaulle, qui malheureusement ajoutait à ce qualificatif, d'autres qualifiants inspirés par la contrariété que lui inspirait Israël. "Sûr de lui", on peut accepter, mais "dominateur"? Ce qui serait bien récent et peut-être mal commenté dans la guerre médiatique permanente qui obscurcit notre discernement.
Le plus étrange dans la permanence du Judaïsme c'est qu'il subsiste comme une Civilisation, avec sa langue, sa culture, sa religion et son peuple, alors que les plus grandes ont disparu: Egyptiens, Perses,Grecs, Romains,…Nombreux ceux qui ont tenté de comprendre cette exception, J.P.Sartre concluait que l'antisémite faisait le juif.(1). J.Soustelle remarquait que pendant deux mille ans, le peuple juif était resté sans Terre, donc non regroupé et ainsi moins fragile(2) mais Israël a modifié cette donne. Certains ont retrouvé leur Judaïsme au seuil de leur conversion, Franz Rosenzweig l'a analysé merveilleusement (3), ou en ont extrait une substance revitalisante par sa vision de l'altérité comme Levinas, pétri de culture Russe, Allemande, Grecque, Française et Juive: "la responsabilité est quelque chose qui s'impose à moi à la vue du visage d'autrui".(4)
Adin Steinsaltz, dont l'immense culture lui a permis d'écrire une traduction moderne du Talmud et bien des ouvrages autour du Judaïsme a tenté de définir ce mot: Juif ! Qui est juif ? que sera le juif du futur ?  Sa réponse aussi brève que dense inclut tout le mystère de la permanence de cette transmission. "Est juif, quelqu'un qui a des petits-enfants juifs".
Il prend à rebours tous les critères à ce jour retenus par les antisémites, les orthodoxes du judaïsme, les généalogistes et autres puristes de la notion de race, qui ont laissé une trace indélébile dans l'Histoire Humaine. La "race Aryenne", inspirée par de grands philosophes "aryens", héritiers de certains des plus grands de cette discipline, se voulait la représentante de l'Humain le plus abouti. Elle a tenté de débarrasser la planète de "la race juive", néfaste, définie par des critères quasi scientifiques. Ils n'ont pu empêcher Rita Levi Montalcini, une juive Milanaise, de comprendre que le cerveau humain était en constant remaniement (NGF)*et d'obtenir le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1986 pour ses travaux durant la guerre. Toujours lumineuse et active, elle aide les femmes d'Afrique à s'émanciper par l'étude. Elle fêtera ses 99ans le 22 avril prochain et garde la même devise: "Aider les autres c'est s'aider soi-même".
 Freddy Chiche- 25 mars 2008                                                                                            

(1)J.P. Sartre : Réflexions sur la question juive- 1943
(2)J. Soustelle: Les quatre soleils- 1967
(3) F.Rosenzweig: L'étoile de la redemption-1921
(4) E. Levinas: Altérité responsabilité Totalité et infini -1961

 * Nerve Growth Factor